“Il est impossible de tenir compte de toutes les parties prenantes”

Le débat entre capitalisme actionnarial (shareholder capitalism) et capitalisme des parties prenantes (stakeholder capitalism) s’intensifie. Ce dernier modèle prévoit d’impliquer davantage les parties prenantes dans le processus de prise de décisions de l’entreprise. Guberna, l’Institut des administrateurs, a examiné la manière dont une entreprise doit traiter cette question.

Edward Freeman, le fondateur de la théorie des parties prenantes, définit ces dernières comme tout groupe ou individu qui peut influencer ou est influencé par la réalisation des objectifs de l’entreprise. “Dans la pratique, il est impossible de prendre en compte toutes les parties prenantes d’une entreprise”, estime Ewout Görtz, chercheur en gouvernance publique et sociale chez Guberna. L’Institut des administrateurs préconise dès lors une approche structurée de la politique des parties prenantes.

La première étape consiste à dresser la liste de toutes ces parties prenantes et à les classer. “En d’autres termes, il s’agit de déterminer qui est concerné par vos activités et qui a un impact sur votre entreprise”, souligne Ewout Görtz. “Et dans ce contexte, il ne faut surtout pas oublier les parties prenantes internes telles que les employés, la direction et les syndicats.”

Pouvoir, urgence et légitimité

La deuxième étape consiste à hiérarchiser ces parties prenantes. “Cela peut se faire sur la base de trois critères. Le premier est le pouvoir qu’une partie prenante peut exercer pour atteindre ses objectifs.” Ce pouvoir peut prendre la forme d’un pouvoir physique, comme dans le cas d’un blocage par une action syndicale, mais aussi d’un pouvoir financier ou matériel – groupes de pression ou fournisseurs, par exemple. En outre, il ne faut pas négliger la force du pouvoir normatif basé sur des moyens symboliques, comme la capacité à attirer l’attention des médias.

Un deuxième critère est la mesure dans laquelle les préoccupations d’une partie prenante sont considérées comme urgentes ou nécessaires. “Plus l’urgence est grande, plus l’impact d’une partie prenante est important”, éclaire Ewout Görtz.

Le dernier critère est la légitimité. Il s’agit ici de déterminer dans quelle mesure les actions d’une partie prenante sont perçues comme souhaitables, justes ou appropriées dans un cadre donné de normes et de valeurs.

Les parties prenantes peuvent être classées selon trois critères: le pouvoir, l’urgence et la légitimité.

Ewout Görtz, chercheur en gouvernance publique et sociale chez Guberna

Opportunités

Une fois ses parties prenantes identifiées et hiérarchisées, l’organisation se demandera si elle souhaite engager chacune d’entre elles et par quelle méthode.

L’engagement des parties prenantes offre aux organisations de nombreuses opportunités, indique Guberna. Par exemple, il peut fournir des informations supplémentaires permettant de prendre des décisions stratégiques appropriées. Il peut également susciter un soutien accru en faveur de certaines décisions. “Les entreprises ont souvent plus de mal à obtenir l’autorisation d’exercer leurs activités – la consultation des parties prenantes est alors essentielle”, avance Ewout Görtz. “Dans le même temps, il faut être suffisamment conscient de la complexité et des défis que cela implique. Le paysage des parties prenantes, très hétérogène, se caractérise par des intérêts et des attentes parfois contradictoires.”

C’est pourquoi Guberna recommande la prudence dans l’inclusion des parties prenantes dans un conseil d’administration, car les décisions doivent toujours y être prises de manière collégiale.

Engagement obligatoire

Ewout Görtz constate que de nombreuses entreprises sont intrinsèquement incitées à réfléchir à leur responsabilité sociale. Mais la pression externe s’exerce elle aussi de plus en plus en faveur d’un engagement réel dans cette voie, notamment de la part des actionnaires, des marchés de capitaux et des institutions financières.

Enfin, certaines obligations sont progressivement transposées dans la législation. Au niveau européen, par exemple, la directive sur la responsabilité sociale des entreprises (CSRD) oblige les entreprises européennes à rendre compte de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société. L’engagement des parties prenantes est donc de moins en moins un choix volontaire: on pourrait dire qu’elle relève désormais de l’obligation de fait.