“Forcer quelqu’un à faire quelque chose fait rarement ressortir ce qu’il y a de meilleur”

Frank Vander Sijpe (Securex) plaide en faveur d’une culture d’entreprise qui encourage l’apprentissage spontané. “Les personnes dont les fonctions correspondent à leurs points forts et à leurs intérêts apprennent plus rapidement et restent motivées, ce qui augmente leur valeur pour l’entreprise et sur le marché de l’emploi.”

Même si Frank Vander Sijpe, directeur HR Trends & Insights chez Securex, n’aime guère l’expression “ressources humaines” – car il place les travailleurs au même rang que les matières premières essentielles à une entreprise –, il reconnaît que cette analogie est plus pertinente que jamais.

“Plus les matières premières sont rares, plus elles sont chères et plus les entreprises tentent de les réutiliser et de les recycler. Si l’on transpose cette problématique à la guerre des talents, on constate que les ‘matières premières humaines’ se raréfient elles aussi, et coûtent plus cher. Les entreprises misent dès lors sur l’upskilling et le reskilling pour que leurs collaborateurs demeurent productifs le plus longtemps possible. D’un autre côté, une part importante du capital humain est détruite à cause de la mise à la retraite anticipée de nombreux travailleurs qui recèlent pourtant une grande valeur pour le marché du travail.”

Afin qu’ils gèrent leur capital humain de façon “durable”, Frank Vander Sijpe conseille aux employeurs de miser sur la formation et le développement personnel. Il a accepté de nous livrer quatre conseils avisés.

Chaque collaborateur à la bonne place

Nombre de travailleurs ne sont pas à la bonne place ou sont surqualifiés, ce qui non seulement nuit à leur bien-être au travail, mais aussi empêche les personnes moins qualifiées d’accéder à un emploi. Le défi consiste donc à s’assurer que chaque personne est au poste le plus judicieux. “Donnez à vos collaborateurs un travail qu’ils aiment faire afin qu’ils restent motivés”, recommande Frank Vander Sijpe.

“Discutez régulièrement avec eux, posez des questions et encouragez-les à en poser. Quels sont leurs centres d’intérêt et leurs points forts? Comment le collaborateur voit-il lui-même son avenir au sein de l’entreprise? Grâce à des formations, vous permettez à vos collaborateurs d’être à la bonne place. Mais offrez-leur également de changer de poste à temps. Vous éviterez ainsi qu’ils se retrouvent dans une cage dorée.”

Les bons choix durant toute la carrière

En matière de formation, les entreprises se focalisent surtout sur les 25-45 ans, alors qu’il est tout aussi crucial d’acquérir de nouvelles compétences au-delà de cette tranche d’âge. “Beaucoup d’employeurs estiment que former de ‘vieux’ collaborateurs n’a guère de sens, c’est pourquoi ils se concentrent sur la jeune génération”, déplore Frank Vander Sijpe. “Par conséquent, les personnes expérimentées se lassent et perdent leur motivation, et des masses de connaissances se perdent. Cela peut aussi provoquer de la frustration chez les jeunes collègues qui travaillent dur pour un salaire généralement inférieur.”

C’est au manager qu’il revient de faire en sorte que les collaborateurs aient un travail qu’ils aiment, et de créer un contexte dans lequel ils peuvent exceller.

Frank Vander Sijpe, directeur HR Trends & Insights chez Securex

L’expert conseille aux employeurs de poser de temps en temps cette question à leurs collaborateurs: si vous deviez vous arrêter de travailler, feriez-vous encore quelque chose en rapport avec votre travail? “Si la réponse est non, il est probable que cette personne n’a pas fait le meilleur choix professionnel. S’ils sont aidés à poser les bons choix, les collaborateurs restent motivés et sont plus engagés.”

Créez une culture de feed-back ouverte

Aux yeux de Frank Vander Sijpe, les managers jouent un rôle majeur dans le développement de leurs collaborateurs. “Au lieu de travailler avec des descriptions de tâches standardisées, il vaut mieux partir des compétences et intérêts des collaborateurs afin de trouver comment les utiliser au mieux au sein de l’organisation. Au manager de faire en sorte que les collaborateurs aient un travail qu’ils aiment, et de créer un contexte où ils peuvent exceller.”

Dans ce cadre, il convient de mettre en place un système de feed-back ouvert et franc, même si cela doit se terminer par un licenciement. Les choses ne se passent pas comme souhaité? Dans ce cas, il est important d’en parler. “Les gens sont trop souvent licenciés sans mise en garde préalable, et le licenciement est alors ressenti comme une douche froide”, souligne Frank Vander Sijpe. “Alors que de nombreux signaux étaient à l’orange, le manager n’a pas osé en discuter. Il est essentiel de donner du feed-back aux collaborateurs pendant toute leur carrière. De cette façon, ils peuvent s’adapter, changer et s’améliorer.”

Donnez envie d’évoluer

Enfin, Frank Vander Sijpe plaide en faveur d’un apprentissage spontané et naturel au travail. “Un collaborateur qui occupe un poste en adéquation avec ses compétences et ses aspirations aura toujours envie d’apprendre. Si votre travail est un prolongement de vos intérêts, vous apprendrez plus facilement de nouvelles choses. Par exemple, lorsque j’ai entendu pour la première fois parler de quiet quitting, j’ai immédiatement cherché à savoir de quoi il s’agissait, par intérêt pour mon travail. Vous pouvez bien entendu obliger les collaborateurs à suivre une formation classique – souvent chère –, mais s’ils n’ont aucune affinité avec le sujet, ils n’en tireront pas grand-chose. Faites en sorte que les collaborateurs se forment parce qu’ils en ont envie et non parce qu’ils y sont contraints.”

L’herbe ne pousse pas plus vite si on la tire vers le haut: elle a besoin de nutriments et de lumière pour grandir. Cela vaut pour le travail. Ce n’est pas en imposant toutes sortes d’obligations que l’on obtient le meilleur des collaborateurs. “Il s’agit de créer un contexte qui leur donne envie de garder leurs compétences à jour et de continuer à évoluer, en leur proposant un éventail de formations et en les interrogeant régulièrement sur leurs besoins d’apprentissage. C’est la base de l’emploi durable, où les collaborateurs restent dans l’entreprise pour des raisons positives. Et s’ils quittent tout de même l’entreprise? Dans ce cas, ils disposent de compétences et de connaissances qui les rendent intéressants pour leur futur employeur et, par extension, pour le marché de l’emploi dans son ensemble.”