Aurore de Montjoye est Head of Real Estate Finance au sein du département Corporate Banking de BNP Paribas Fortis. Son équipe accompagne les plus grands promoteurs ou investisseurs immobiliers cotés ou privés sur des projets de tous types en Belgique et au Luxembourg. Même s’il reste du chemin à parcourir, elle témoigne de l’évolution du secteur vers la décarbonation. Une transition dont la banque se veut être un accélérateur.
Les acteurs immobiliers sont-ils tous conscients aujourd’hui des exigences ESG (Environnement, Social, Gouvernance)?
“Le sujet est vraiment monté en puissance depuis 2019. Il est aussi au cœur des dossiers de financement. Il y a encore quelques années, nos analyses étaient essentiellement focalisées sur les risques liés à localisation du bâtiment et le potentiel locatif. Aujourd’hui, la moitié des discussions au sein des comités de crédit portent sur les aspects ESG.”
Sur quoi portent ces discussions ESG, précisément?
“S’il s’agit de la rénovation ou de la réaffectation d’un bâtiment existant, nous regardons entre autres les aspects de circularité (c’est-à-dire la réutilisation de matériaux anciens) et l’amélioration de la performance énergétique attendue. Dans le cas d’une construction neuve, la plupart des exigences sont de toute façon préalables à l’obtention d’un permis, les règles applicables ayant bien évolué.”
“Cependant, certains promoteurs vont plus loin, par exemple en utilisant un maximum de composants démontables par la suite ou en rendant le bâtiment indépendant de l’apport d’énergies fossiles. Ce sont des éléments positifs que nous prenons en compte dans notre analyse.”
“Nous scrutons aussi la mesure dans laquelle les activités de nos clients se conforment à une série de critères ESG. Par exemple, que dit leur code de conduite? Ont-ils une politique de réduction de la pollution ? Contrôlent-ils aussi la politique ESG de leurs fournisseurs? Nous leur soumettons un questionnaire dont les réponses nous permettent d’établir un scoring précis.”
L’entrée en vigueur de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose un reporting ESG, accélère-t-elle le mouvement?
“Dans un premier temps, la CSRD s’appliquera uniquement aux grandes sociétés et sociétés cotées. Celles-là ont déjà anticipé. Elles disposent de spécialistes ESG et des données. Mais pour les acteurs de plus petite taille, il reste du chemin à parcourir. Raison pour laquelle nous remettons ce point à l’agenda de chacune de nos rencontres afin de ne pas perdre de vue cet objectif.”
Quel est l’enjeu?
“Aujourd’hui, les entreprises dont les projets de rénovation ou d’acquisition ne répondent pas aux critères ESG trouvent déjà difficilement du financement. A terme, elles seront probablement exclues du système et empêchées de louer leurs biens.”
”A Bruxelles, par exemple, cela pourrait déjà être le cas dès 2033 pour les biens résidentiels considérés comme des passoires énergétiques, c’est-à-dire ceux dont le certificat PEB (Performance Energétique des Bâtiments) s’élève à F ou G. Si rien n’est fait, la valeur de l’actif va baisser au fil des années pour se réduire à la valeur du terrain après démolition.”
Aujourd’hui, les entreprises dont les projets de rénovation ou d’acquisition ne répondent pas aux critères ESG trouvent déjà difficilement du financement. A terme, elles seront probablement exclues du système et empêchées de louer leurs biens.
Aurore de Montjoye, Head of Real Estate Finance au sein du département Corporate Banking de BNP Paribas Fortis
Quels autres arguments peuvent convaincre les acteurs?
“Lorsqu’un projet immobilier prend en compte les aspects ESG et qu’il obtient de la banque un crédit dédié, cela rassure les investisseurs et le projet devient plus facile à promouvoir. Auprès des particuliers, toujours plus sensibles aux questions environnementales et au coût de l’énergie, mais aussi des sociétés locataires de bureaux. Elles-mêmes vont devoir, à terme, publier leur bilan carbone. Bilan carbone qui sera influencé par la performance énergétique des bâtiments qu’elles occupent.”
“Au-delà de sa valeur intrinsèque, un immeuble qui répond aux attentes ESG verra sa liquidité augmenter. Les coûts d’exploitation d’un bien neuf ou rénové diminuent souvent drastiquement. Tout cela augmente l’attractivité auprès des acheteurs.”
Au-delà des financements, comment la banque peut-elle aider les acteurs du secteur à s’inscrire dans cette transition?
“Grâce à notre réseau, la banque dispose de nombreux experts – ingénieurs, financiers, techniciens – réunis au sein de notre Sustainable Business Competence Centre. En 2022, celui-ci a analysé 106 projets pour un montant total de 470 millions d’euros.”
“Ces experts nous accompagnent chez les clients pour les sensibiliser, les aider à se situer ou se benchmarker et esquisser des lignes stratégiques de transition. Et puis nous travaillons avec de nombreux partenaires. Comme Climact* , qui aide les entreprises à calculer leur empreinte carbone et développe avec elles des plans de réduction de leurs émissions de CO2.”
Proposez-vous aux investisseurs engagés des produits de financement spécifiques?
“Oui, par exemple une ligne de crédit sans but précis, mais dont le mécanisme de tarification est lié à l’amélioration d’indicateurs de performance ESG prédéfinis. Ce produit est accessible à nos clients immobiliers à partir d’une certaine taille.”
De quels indicateurs de performance parle-t-on précisément?
“Ils sont négociés au cas par cas. Tout l’enjeu de l’obtention du crédit est que la trajectoire d’amélioration définie soit réaliste mais suffisamment ambitieuse. Là encore, notre Sustainable Business Competence Centre est un réel atout car ses experts sont impliqués dans un très grand nombre de dossiers.”
“Nous finançons par exemple une Société Immobilière Réglementée via un crédit dont le coût dépend d’un indicateur lié à la consommation énergétique totale du parc immobilier. Pour une autre, l’indicateur est lié à la proportion de bâtiments dotés d’un certificat de performance énergétique de la classe la plus élevée.”
“Par ailleurs, nous avons développé une solution sur mesure pour le leasing de bâtiments qui répondent aux caractéristiques énergétiques strictes basées sur la méthode BREAAM, pour “Building Research Establishment Environmental Assessment Method”.”
Depuis 2021, les banques doivent collecter les paramètres énergétiques des bâtiments qu’elles financent et apprécier le score ESG global des sociétés auxquelles elles prêtent. Ces éléments font partie intégrante du processus d’étude avant prise de décision.
En 2021, le Groupe BNP Paribas a co-fondé la Net-Zero Banking Alliance. Il s’agit d’une coalition de banques qui s’engagent à adapter leurs portefeuilles de prêts et d’investissements afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le plan prévoit des objectifs intermédiaires précis dans des secteurs tels que l’automobile, l’énergie, l’acier, l’aluminium, le ciment.
* Climact SA, Place de l’Université 16, B-1348 Louvain-la-Neuve, RPR Nivelles, : 0892.272.118.